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La Seringue Atomique !
23 juin 2016

Alice et Fred !

 

Lorsque Fred pénétra dans la maison d'Alice ce matin-là, les premiers rayons de soleil qui filtraient au travers des persiennes donnaient à la pièce un air de fête. Sous l'impulsion du vent qui soufflait dans le saule en pleurs, les faisceaux de lumière dansaient joyeusement  et dessinaient des ombres chinoises sur les murs de la chambre à coucher. Alice baignait dans cette aura qui donnait à son corps frêle et gracile, un parfum d'évanescence. Tout dans l'air annonçait la fin de l'automne.

Lorsqu'Alice entendit la voix de Fred, son regard s'illumina. Il était devenu, depuis de longs mois maintenant, beaucoup plus à ses yeux qu'un infirmier chargé de ses maux. Chaque jour, il réchauffait son coeur par sa présence et le son de sa voix avait le don de la rassurer. A deux, ils avaient parcouru ce chemin long et difficile qui mène à l'acceptation de l'irrémédiable. Elle savait maintenant qu'il lui fallait rendre les armes. Elle avait lutté pourtant, elle s'était battue et beaucoup révoltée. Elle avait résisté à la douleur, à la fatigue, à la défection de ce corps qui, aujourd'hui, ne lui appartenait déjà plus. Elle savait qu'elle avait parfois été odieuse, qu'elle avait tenté de négocier de nombreuses fois une mort plus douce ou plus rapide mais en vain. Lui, avait toujours été là, infiniment présent, généreux et débordant d'indulgence ... Mécaniquement, son corps avait lutté durant plusieurs mois. Elle s'était accrochée plus par instinct de survie que par espoir car d'espoir, depuis les premiers jours, il y en avait peu. Le combat était inégal certes. Il s'agissait plus d'un acte de résistance à ses yeux. Alice n'était pas une guerrière, le mal était en elle, il lui appartenait. C'était son cancer et non un intrus qui s'était insinué dans son corps. Elle le considérait comme un parent dément, une sorte d'animal sauvage qu'il faut domestiquer, amadouer et surtout endormir. Elle craignait ses colères et ses réveils brutaux. Pourtant, Alice, certains jours, était dompteuse de crabe et, dans ces moments-là, c'est elle qui menait la danse. Ces bonheurs furtifs étaient comme des petits soleils, des embellies qui permettaient de continuer.

Ce matin-là avait la saveur de ces instants d'abandon où tout est possible. Fred regarda Alice et la trouva belle. Son crâne était parsemé d'un leger duvet soyeux. Malgré l'absence de cils et de sourcils, ses yeux pétillaient de vie. Ils semblaient dire, "je vais vivre encore, et aimer, et chanter, et danser. Je vais rire comme lorsque j'étais enfant, et demain verra naître une autre Alice prête à tout recommencer."

Fred entreprit de lui faire sa toilette. Nue, Alice ressemblait à une petite pomme ratatinée qui disparaissait chaque jour un peu plus derrière ses couvertures. Elle souhaita mettre sa petite robe à fleurs parce qu'ajouta-t-elle, "les fleurs imprimées sur un morceau de tissu sont impérissables." Il la parfuma.  Une odeur de violette embauma toute la pièce. "M'emmèneriez-vous danser à présent ?" demande Alice en riant. Fred sourit, finit ses soins, brancha la perfusion, rangea son matériel et salua Alice en sortant. Elle le rappela auprès de son lit, lui tint la main longuement et, parce qu'on ne s'embarrasse plus de fausses pudeurs dans ce genre de situation, elle lui dit simplement qu'elle l'aimait. Fred embrassa délicatement sa main décharnée, lui chuchota dans le creux de l'oreille "Soyez prête car nous valserons ce soir, Princesse" et  il partit. Il ferma la porte de cette grande maison silencieuse, l'air au dehors était glacial, la girouette sur le toit se mit à grincer. L'hiver était là. Il inspira profondément avant de démarrer sa voiture. Pendant quelques secondes, il y eu une absence, un désir de faire marche arrière, de retourner auprès d'Alice. Mais il ne le fit pas, sa journée ne faisait que commencer, il reviendrait ce soir comme tous les jours depuis des mois. Alice entendit le moteur ronronner et reconnut le son particulier des pneus qui crissent sur le gravier. Fred était parti, elle savait qu'elle ne le reverrait plus...

La Seringue.

 

 

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Commentaires
M
Très beau très vrai très touchant<br /> <br /> Combien d'aurevoir qu'on sait être les derniers et combien de larmes contenues qui des fois glissent toutes seules quand on est derrière le volant...mais pour tous ces moments de tristesse et de boule dans la gorge, rien ne peut remplacer ces instants de partage, se soutien qu'on donne sans compter, ses sourires qui apparaissent au milieu des drames... quel beau métier nous avons....
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La Seringue Atomique !
  • L'infirmier libéral dans tous ses états ! Une profession examinée à la loupe avec de bonnes doses d'humour, de dérision ou d'émotions mais également quelques coups de gueule et de nombreux coups de pied dans la fourmilière...Bonne lecture à vous !
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