L'Arrache-Coeur !

Nom de Code : CV !

C.V alias carte vitale : deux petites initiales utilisées dans le jargon des professionnels de santé, deux lettres de l'alphabet qui ont un poids certain puisqu'elles leur donnent accès au paiement de leurs honoraires. La carte vitale, ce petit rectangle de plastique vert et jaune muni d'une puce électronique sur laquelle figure votre nom, numéro de sécurité sociale et votre frimousse (depuis 2007) a fêté ses  vingt ans il y a quelques mois.  

Exit les feuilles de soins manuscrites, exit les kilotonnes de papier qui décimaient nos forêts, la carte vitale se veut être un moyen simple et efficace autant pour les professionnels de la santé que pour les patients. 

La belle a pourtant eu des débuts bien difficiles auprès des médecins et des pharmaciens peu conquis par cette nouveauté. C'est donc à grands coups d'aides financières qu'elle a pu se faire la place qu'elle occupe aujourd'hui puisque 62 millions de ces petites cartes circulent dans l'hexagone.

V comme Vital !

Qui d'entre nous n'a jamais connu cet instant jubilatoire, que dis-je, cet orgasme parfois un peu brutal éprouvé par certains de nos patients à la simple évocation de cette petite carte magique qui leur offre  non seulement le luxe de ne pas faire l'avance des soins mais qui permet également aux soignants d'être rétribués pour leur travail. Car assurément, réclamer ce sésame peut provoquer spasmes, soubresauts, hoquets, paralysies des zygomatiques, étranglements et autres fussoirs propres à les faire passer de vie à trépas.

Un petit bémol, toutefois, à ce constat désolant, un petit nota bene à ne pas négliger : les infirmiers et les kinésithérapeutes semblent être beaucoup plus impactés que les médecins par ce syndrome de la carte bleue vitale affectant ce type de patient. D'ailleurs, un "Docteur" ne réclame jamais la carte vitale de ses patients. Par un tour de passe-passe extraordinaire, celle-ci se retrouve à portée de sa main avant même qu'il n'en ait besoin. Quel talent !

Dans l'obligation de devoir facturer vos honoraires régulièrement pour pouvoir tout simplement vivre de votre travail, le petit infirmier que vous êtes éprouve parfois le sentiment de se retrouver piégé dans une sorte de boucle temporelle qui lui fait revivre à l'infini ce moment pathétique où un simple morceau de plastique jaune et vert prend la valeur d'un trésor inestimable, un crève-coeur à ne pas mettre en toutes les mains, un "précieux" prompt à vous ronger l'âme et le corps. 

Ô mon Précieux !

Lorsque certains patients vous posent délicatement la carte vitale sur un petit napperon brodé juste à côté de votre dossier de soins, d'autres, plus nombreux, s'évertuent à la perdre ou plus vraisemblablement à la planquer dans des endroits tous plus hétéroclites les uns que les autres. Congélateur, page de garde d'une livre perdu au milieu d'une bibliothèque de plus de 1200 volumes, paquet de farine, four, poubelle, porte parapluie... tous les lieux propices à l'oubli font, dans ce cas-là, l'affaire. Il n'est également pas rare que ladite carte vitale s'offre un voyage de santé, une petite excursion de quelques jours chez le médecin traitant qui en a besoin pour facturer sa consultation à domicile. Soyez donc perspicaces et imaginatifs lors de cette chasse au trésor à laquelle je vous déconseille fortement de participer. De propositions en hypothèses d'improbables cachettes, de fouilles approfondies en missions exploratrices, la carte finit toujours par ressurgir des jours voire des semaines plus tard. Sa réapparition aussi soudaine qu'inattendue peut alors susciter chez son propriétaire une petite larme de tristesse, un rictus, une amertume au coin des lèvres voire pour les plus fragiles une douleur qui leur arrache les entrailles, un palpitant qui palpite ou qui flanche tout simplement. Radinisme congénital, lutte contre le sacro-saint gaspillage de l'argent public, amnésie sélective peuvent être des explications plausibles à de tels comportements. De toute évidence, consentir à tendre sa carte vitale à l'infirmier afin qu'il puisse facturer ses actes serait vécu par de nombreux patients comme un veritable arrache-coeur. 

Quand c'est gratuit, ça n'a pas de prix !

Ainsi, pouvons-nous nous interroger sur la valeur de notre travail et par extension sur sa perception par le patient. Autrefois considérée comme une "vocation", la profession infirmière  s'est longtemps nourrie de spiritualité et d'offrandes. Se dédier à l'autre, se dévouer à sa tâche dans le dénuement et le désintéressement le plus total étaient alors les préceptes d'un vie monacale ou quasi monacale dans laquelle les soins aux malades et aux nécessiteux tenaient un place importante. 

La profession infirmière est une profession jeune et l'exercice libéral l'est plus encore puisqu'il fut réglementé par arrêté le 31 décembre 1947. C'est à cette date que les actes réalisés par les "auxiliaires médicaux" purent être remboursés par la Sécurité Sociale. Dans l'histoire de la profession, le paiement à l'acte par les patients sera de courte durée, il est aujourd'hui admis que les soins infirmiers sont en majeure partie pris en charge sans avoir à faire l'avance de frais. On peut d'ailleurs considérer que du "sans avance de frais" ou tiers-payant au "gratuit", il n'y a qu'un pas dans l'esprit de chacun. Aussi, cette pseudo-gratuité qui n'est en fait qu'une illusion induit chez les patients de nombreux effets pervers tels que le consumérisme médical, le non respect des rendez-vous et par voie de conséquence des soignants. On ne peut que s'interroger sur la manne de la gratuité, son effet "kleenex, je consomme, je te jette"... ou comment donner de la valeur à ce que l'on peut dépenser sans compter. Les soins prodigués par les infirmiers sont majoritairement gratuits, pourquoi leur donnerait-on une carte vitale pour se faire payer ? Sans renier aucunement l'accès aux soins pour tous grâce au tiers-payant, il est permis de douter de la pédagogie employée lors de sa mise en place... 

La Santé Free, t'as rien compris...

La Seringue.

 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/carte_vitale-2.pdf

https://www.lepoint.fr/societe/la-carte-vitale-20-ans-et-encore-verte-pour-son-age-18-05-2018-2219437_23.php