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La Seringue Atomique !
11 mai 2016

Soignant Soigné !

Une question d'équilibre !

Voici donc une expérience aussi étrange que désarmante que celle de l'infirmier qui, le temps de quelques jours, quelques mois ou quelques années s'asseoit sur la chaise toujours très inconfortable du malade. Une épreuve qui est, d'ailleurs, tout aussi inquiétante pour le soignant qui va prendre en charge ce patient très spécial.

La sphère du soin est un monde hiérarchisé. Les soignants, tels des satellites gravitent autour du malade avec des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qui leur sont propres. Grâce aux compétences de chacun, la prise en charge de chaque patient tend vers l'efficacité et vise à proposer des soins  personnalisés.

Dans cette relation soignant/soigné, le patient endosse souvent le costume de candide. Il est celui qui n'a ni les connaissances, ni les informations, ni les techniques relatives à sa pathologie.

Il existe alors une forme d'équilibre entre celui qui sait et qui transmet des informations ou des soins et celui qui les reçoit.

Pourtant, cette relation  ressemble souvent à un rapport maître/élève. Elle peut facilement sombrer dans l'infantilisation du patient ou exacerber un désir de toute puissance du soignant.

Cet équilibre fragile semble aussi quelquefois menacé lorsque l'échange entre les protagonistes est vécu comme une relation dominant/dominé ou lorsque l'élève en sait plus ou à peu près autant que le maître.

Que se passe-t-il alors lorsque les rôles de chacun ne sont plus définis ? Comment appréhender une situation où le soignant devient le soigné ? Comment préserver une relation où chacun reste à sa place ?

Version Soignant Soignant !

Ou quand un infirmier bien portant soigne un infirmier... malade !

"Ah là là, soigner des soignants, c'est toujours compliqué. Ces malades-là ne sont pas faciles !". Voici une petite phrase assassine entendue au décours d'une conversation dans un service d'oncologie. Quelles sont donc les difficultés qu'éprouve l'infirmier face à un alter ego malade ?

Soigner un infirmier, c'est prendre en charge une personne qui a le même bagage que soi et prendre le risque d'être jugé, de voir ses gestes disséqués au scalpel et ses propos analysés. C'est en quelque sorte remettre en cause son savoir donc son diplôme et ses années d'expérience. On peut aisément supposer que cette situation puisse parfois déclencher chez le soignant une réaction épidermique voire allergique. Aux oubliettes le sacro-saint savoir que l'on distille à l'envi aux candides ; Ici, on joue dans la même cour de récréation et on se doit d'être vigilant, méticuleux, scrupuleux et compétent à 100 %. Il est fréquent de revivre avec ces patients très particuliers les mises en situation professionnelles tant redoutées lors de nos études.

Soigner un infirmier, c'est surtout parler le même langage et se comprendre à demi-mots. Cependant, l'implication n'est pas la même si l'on se situe du côté du soignant ou du soigné. Le soignant a une vision académique de la maladie, le soigné la vit souvent dans l'émotion, le soignant-soigné la perçoit des deux façons. La difficulté essentielle pour le soignant amené à prendre en charge un soignant-soigné réside dans l'utilisation d'un langage adapté qui évite l'infantilisation et le préserve de l'angoisse. Les connaissances acquises sont parfois une grande source d'inquiétude pour celui qui est devenu un patient.

Version Soignant Soigné !

Ou quand un infirmier malade est soigné par un infirmier bien portant !

Comme tous patients, les infirmiers malades peuvent revêtir différents costumes.

L'infirmier-malade-inquiet qui sait tout n'aura de cesse de confronter ses informations avec celles de son soignant. Perfectionniste à l'extrême, il génère une dose de stress puissante. Il met son savoir en avant pour parer à ses tourments face à la maladie. Il faut admettre que ce cas de figure est anxiogène et difficile pour les deux parties.

L'infirmier-malade-inquiet qui sait mais qui ne dit rien garde toute sa charge émotionnelle enfouie en lui. L'épisode maladie est un combat intérieur dont il ne fait part à personne. Prendre soin de ce patient paraît simple et pourtant, la dépression n'est parfois pas très loin. La facilité est une traîtresse qui réserve quelquefois de biens mauvaises surprises !

L'infirmier-malade qui savait mais qui a préféré oublier parce que regarder la maladie en face est une réalité qu'il n'avait pas envisagé. Comme beaucoup de soignants, il ne s'était jamais senti directement concerné. Il pensait naïvement que cela n'arrivait qu'aux autres. Aussi, toutes les connaissances accumulées, toutes les expériences vécues du temps où il était bien portant se rappellent à son bon souvenir et viennent le tourmenter. Savoir est pour lui aujourd'hui un cauchemar qui le pétrifie et le plonge dans la plus grande détresse. Cette prise en charge requiert beaucoup d'attention et d'empathie de la part du soignant.

Devenir un patient est pour le soignant un parcours qui modifie à jamais sa vision du soin. On compte par exemple les heures et les minutes dans les salles d'attente. On entend malgré soi des conversations qui ne devraient pas sortir de la sphère des soignants. On passe devant des portes ouvertes qui devraient pourtant être fermées pour respecter l'intimité des malades. On aperçoit des staffs de dix personnes entrer dans une chambre qui débattent de la pathologie du moment en ignorant tout bonnement l'intéressé au fond de son lit. On voit aussi des gens débordés qui n'arrivent plus à donner le meilleur d'eux mêmes par manque de moyens. De l'autre côté du miroir, on perçoit la douleur , le chagrin, la peur et on les fait nôtres. On côtoie la mort...

Il serait sans doute intéressant dans la formation des infirmiers d'inclure un stage découverte où les étudiants deviendraient le temps d'une semaine ou deux des patients afin qu'ils puissent mesurer le parcours souvent difficile du malade. Les patients pourraient d'ailleurs être d'excellents guides pour ce type d'expérience. Cette traversée du miroir permettrait sans doute d'améliorer la qualité des soins.

La Seringue.

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Commentaires
M
Très bonne dernière suggestion !<br /> <br /> Alors que j'étais en début de carrière hospitalière, ma vision a complétement changé suite à une courte hospitalisation de ma personne. Ma Prise en Charge des malades dans leur globalité a changée, je préfère dorénavant prendre plus de temps auprès d'eux plutôt que de subir les cadences infernales imposées; quitte à me faire rappeler à l'ordre par mon faisant-fonction (de pseudo) Cadre...
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C
Merci pour ton intervention Hélène, gagner une ou des batailles semble donner à certains un sentiment de toute puissance. Ils se retrouvent dans la peau du super héros ayant terrassé Thanatos. Il reste la fragilité de la situation dans le cas du cancer. En regard des connaissances actuelles, le risque de récidive est tout de même important... Les soignants ont toutes les clés pour comprendre les symptômes de la maladie, la douleur, la détresse des patients mais il leur manque souvent une chose essentielle qui s'appelle le vécu. Il y a de nombreuses situations qui sont parfois humiliantes pour le patient. Elles touchent la plupart du temps à la pudeur et au respect. Des petites expériences très simples aideraient sans doute à la compréhension. S'asseoir dans une salle d'attente une demi journée et observer ce qui s'y passe, devenir un numéro ou une pathologie, faire abstraction de sa pudeur devant une colonie de savants qui, dubitatifs, s'interrogent sur votre devenir avec des mines perplexes. Cela pourrait aisément se faire sous forme de jeux de rôles dans les instituts de formations en soins infirmiers et il serait judicieux d'y intégrer des patients parce qu'au final, ce sont eux qui ont les clés.
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L
Oui, ta suggestion finale est on ne peut plus pertinente. <br /> <br /> Bien que non-soignante, mais soignée depuis 15 ans, je me retrouve complètement dans ce post. La connaissance de sa propre maladie est toujours un atout du point de vue technique et décisionnel. Émotionnellement, il n'en va pas toujours de même... Quant à l'expérience du soignant soigné, les effets secondaires dans sa vie professionnelle ne sont pas universels : j'ai eu à faire à deux oncos touchés personnellement par le crabe sur mon parcours. L'un a clairement gagné en empathie, en délicatesse. L'autre, sous prétexte qu'il a eu la force de faire le marathon de New York 6 mois après ses traitements lourds, regarde désormais les plaintes de ses patients comme les jérémiades de personnes qui s'écoutent trop. L'être humain est une source infinie de surprises...
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La Seringue Atomique !
  • L'infirmier libéral dans tous ses états ! Une profession examinée à la loupe avec de bonnes doses d'humour, de dérision ou d'émotions mais également quelques coups de gueule et de nombreux coups de pied dans la fourmilière...Bonne lecture à vous !
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