Sous le Poids de la Dévotion !

6 août 2015

La Dévotion : un Embrigadement !

Lorsque l'on interroge nos patients sur les qualités de leur infirmière (oui, oui, vous avez bien lu, c'est au féminin et c'est intentionnel), la plupart du temps, ils vous citeront spontanément cette dévotion et ce dévouement pour l'autre qui sont sensés nous habiter. Notre professionnalisme est très peu évoqué alors que pour n'importe quel corps de métier relevant de l'artisanat, cette aptitude est la plus importante aux yeux de n'importe quel quidam.

En religion et en spiritualité, la dévotion est une manifestation de piété ou d'adoration pour une divinité ou un maître. Par extension, la dévotion est l'application rigoureuse et soignée d'une personne dans son travail ou dans sa vie personnelle.

Le dévouement, la dévotion sont des apprentissages que l'on fait entre 6 et 12 ans (période de latence chez Freud où l'enfant, mettant en sourdine ses pulsions et sa libido, est attiré par des activités plus cérébrales et sociales). Chez la petite fille, il s'agit presque d'une forme d'embrigadement qui persiste encore de nos jours dans l'éducation. En effet, qui de nous n'a pas vécu ou ne s'est pas entendu dire un jour à sa fille aînée de 8 ans un gentil mais néanmoins révélateur "Occupe-toi de ta petite soeur" ou "Fais attention à ton frère" ? La petite fille est souvent investie d'une responsabilité qui ne devrait pas lui échoir.

Très jeunes, nous jouons à la poupée et apprenons ainsi à nous occuper d'un "autre". Combien sommes-nous à avoir reçu en cadeau pour Noël ou à notre anniversaire, une magnifique panoplie de la parfaite infirmière ? Panoplie qui fut testée tout d'abord sur notre poupée (peu réceptive à nos soins, je l'admets) puis sur notre animal de compagnie (Qui prit la fuite, nous griffa ou nous mordit !) puis sur un être fait de chair et d'os comme nous-mêmes, à savoir un frère, une soeur ou un cousin souvent soumis et disposé à encaisser tous nos caprices.

Dévotion et dévouement seraient donc acquis dès l'enfance, une forme de formatage, d'atavisme ayant dépassé les siècles. Comment alors se débarrasser de ces stéréotypes qui nous collent à la peau ?

Les Clichés ont la vie dure !

Dans le film de Maurice Elvey tourné en 1943, dévotion et dévouement atteignent leur summum. On y voit Hilary Clarke, infirmière dévoué jouée par Rosamund John se débattre pendant la seconde guerre mondiale pour sauver des vies. Tout cela, sur fond d'histoire d'amour romanesque avec un patient riche et séduisant. Ça fleure bon l'eau de rose et ce genre cinématographique n'aide pas franchement à faire évoluer la vision surannée de l'infirmière.

Comment on brise un mythe !

Nurse Jackie, série américaine en 80 épisodes où Jackie Peyton, infirmière à New York dans un service d'urgences explose littéralement le mythe de l'infirmière. Jackie a du mal à équilibrer sa vie professionnelle agitée et sa vie personnelle désastreuse. Obstinée et brillante, elle se bat pour affronter les cas les plus difficiles mais n'en fout pas la rame. Nurse Jackie est une dominatrice, toxicomane, mordue de sexe, mauvaise mère. C'est l'anti-héroïne parfaite qui atomise la vision doucereuse de l'infirmière modèle, l'antéchrist en blouse blanche en quelque sorte.

Le juste milieu

Le juste milieu consisterait à s'affranchir de cet héritage que nous portons en nous. Apprendre à dire NON me semble être un début de solution. Rappeler que si dévotion il y a dans l'esprit de la personne que l'on a en face de soi, elle commence avec le soin et prend fin avec lui. L'intérêt étant de se forger une nouvelle identité sociale qui serait source de reconnaissance de nos savoirs, savoir-faire et savoir-être. Prendre soin ne relève pas du bénévolat ou d'une mission apostolique. La science infirmière allient compétence, savoirs, éthique et pratique et s'absout de toute considération dévotionnelle (empathie, relation d'aide se substituant au dévouement chères à nos ancêtres les nonnes).